10 pouces, C trop Difficile !
Le 3 mai dernier à 13 h 48, ma mère, ma ressource, celle qui m’a tout appris, nous a quittés. Depuis, je suis orpheline… Le 18 novembre dernier, elle a fait son entrée à l’urgence avec la peur de ne jamais en ressortir. On lui annonce qu’elle doit subir une opération pour une appendicite aiguë.
Cette appendicite se transformera en hémicolectomie. On a coupé près d’un pied de colon, car on soupçonnait un cancer. On ne voulait pas prendre le risque de refaire une seconde opération si l’analyse révélait des cellules cancéreuses. Heureusement, il n’y en avait pas. Ce qui l’attendait par la suite n’est pas digne d’une société qui dit se soucier de ses aînés et de leur bien-être. Sommes-nous une exception ? J’en doute. Sommes-nous les seuls ? Non plus. C’est notre histoire. Celle qui nous marquera au fer rouge, celle qui est tatouée à tout jamais sur notre cœur meurtri et maintenant plus rouge de colère qu’avant. Notre histoire s’ajoute à bien d’autres tristes histoires. Je le sais ! On chiale un peu. On en parle et puis, silence radio. Je serai cette prochaine histoire. Je veux croire que ça pourrait changer quelque chose. Parce que, croyez-moi, on ne veut pas que notre tour arrive dans ces conditions. Il faut en parler. Je veux en parler. Je dois en parler. 10 pouces de colon en moins ça change quelque chose ? Oh que oui ! 10 pouces de colon en moins, ça t’enlève toutes possibilités de retrouver une vie dite « normale ». 10 pouces en moins et pour ton hygiène personnelle, tu dépends de tout le monde. Tu ne seras jamais plus capable de suivre le rythme de tes selles, car à partir du moment où on prend la décision de t’enlever ce 10 pouces, tu seras condamné à avoir des diarrhées jusqu’à 10 fois, 12 fois et plus par jour. Elle avait 83 ans. Douze diarrhées par jour, pas de soins suffisamment constants, car changer des couches, on se le dira, ça te vide une chambre d’hôpital ça.
Moi, contrairement au personnel payé pour ça, je n’ai pas pris la décision de devenir une préposée ou une infirmière dans ma vie. Pourtant, je le suis devenue malgré moi. Si bien que les rares visites du personnel dans sa chambre on fait en sorte qu’elle développe une plaie de lit. La fameuse plaie de lit. Grade 3. Très grave. Une plaie qui ne s’est pas développée parce qu’elle se reposait tranquillement dans son lit. Une plaie grade 3 parce qu’elle baignait dans ses selles, son urine trop longtemps, trop souvent. Un trou dans son dos qui s’infecte au fur et mesure que le temps passe. 10 pouces Comme si ce n’était pas suffisant, des soins prodigués sans protection hygiénique suffisante, selon moi, a ouvert la porte au C difficile. Le C difficile qui attendait qu’on lui donne l’occasion d’entrer. Une infection qui fait peur et qui s’incruste. Qui s’ajoute à ton mal déjà trop présent et qui t’affaiblit encore plus à 83 ans. Que tu aies 20, 30, 60 ou 83 ans, le fait de devoir te faire nettoyer par des étrangers dans ce que tu as de plus intime, subir un traitement tous les jours dans une plaie que tu ne verras jamais, car elle est située là où le dos perd son nom… C’est humiliant, dégradant ! La dépression n’est jamais très loin. Est-ce qu’elle voulait mourir ? Oh que oui ! L’a-t-elle demandé ? Oui, plus de 100 fois… Un antidépresseur calmera un certain temps ce désir de vouloir mourir.
Cette amie qui pourrait pourtant la libérer enfin ! Après deux sorties forcées, après deux admissions d’urgence, on réalisera que cette bactérie fait encore des ravages. On nous l’avait cachée. Ça coûte cher une vieille dame qui exige des soins constants. Plus simple de s’en débarrasser, de justifier sa sortie. Même si on sait qu’elle porte en elle ce « c » ce « Christ » de « c » difficile qui aura exigé que l’on porte gants et chemises jaunes et qui nous aura empêché de lui prodiguer des caresses, de lui témoigner notre tendresse, de l’embrasser, cette pauvre femme, notre Maman. Elle ne pourra plus retourner chez elle.
Elle n’aura plus la force de se soigner par elle-même. Elle doit dépendre des autres pour son hygiène corporelle. Toutefois, selon notre système de fou, elle n’est pas assez malade pour se retrouver en RI (résidence intermédiaire) qui exige la cote 6. Elle n’a que la cote 4. Trop vive, trop de caractère et pas assez de perte cognitive. Par contre, elle est parfaite pour le privé. On se bat, on s’obstine, on prie, on quémande. Un ultime délirium dû à une autre infection aura raison de sa cote. Elle lui aura enlevé quelques points de sa capacité cognitive. Elle est maintenant classée 6 ! (Enfin !) Maman est suffisamment faible pour se retrouver en résidence publique avec soins. Parce qu’à l’hôpital on ne peut plus rien pour elle, disent-ils. Elle ne requiert plus de soins médicaux quotidiens. Elle n’est plus malade. Elle quittera l’hôpital après 6 mois d’enfer, 40 livres en moins et on essaiera de lui faire comprendre qu’une belle vie l’attend. Cette nouvelle vie aura duré 19 jours. Une belle résidence publique. Avec des activités tous les jours. De nouveaux amis… Des petits lapins accrochés aux murs pour Pâques... Mais, un gros HIC ! Des préposés aux bénéficiaires qui, après avoir changé les culottes souillées, se dépêchent d’aller préparer le dîner destiné à ces bénéficiaires. Ces chanceux qui ont tous la cote 6 et qui profitent des bons soins de la bénéficiaire qui fait également office de serveuse, dans cette belle résidence où la moindre hygiène de base est aussi absente que le personnel lui-même. De plus, elle n’est pas sur la liste du bon médecin de la résidence qui brille autant par son absence que le plancher bien astiqué de celle-ci. Non, il ne peut pas la rencontrer. Désolé. Il faudrait qu’elle revoie son médecin de famille qui se trouve à 70 km de là…
Au 16ième jour, elle retombe malade. Le fameux C était de retour. Ne l’avait-il jamais quitté ? J’en doute…
Le personnel, sans gant, sans hygiène de base, avait oublié que la chanceuse qui avait été cotée 6, avait un système immunitaire plus faible encore que ses jambes qui n’arrivaient plus à la porter. On quittera alors cette résidence que nous avons tant espéré pour aller vers un centre hospitalier situé à des kilomètres de son milieu de vie. Terminé le curatif, car il n`y a plus d’espoir de guérison. Le palliatif nous sera alors proposé. Elle aura eu le temps de nous dire : c’est trop difficile. 24 heures plus tard… Enfin, elle quittera ce corps meurtri, amaigri et tellement porteur de souffrance. Nous, sa famille, qu’avons-nous fait pendant ces 6 mois ? Nous l’avons lavée, changée, nettoyée, encouragée, soutenue, aimée, amusée et ce, parfois, au prix de notre santé, notre moral. Elle n’aura jamais été seule, pas un seul jour. Nous nous sommes battus pour son mieux-être et sa dignité. Nous lui avons fait croire que le meilleur était à venir. Nous n’avions jamais pensé que ce meilleur était sa mort.
Le 3 mai dernier, à 13 h 48, elle a ouvert ses yeux et lorsque nous lui avons chanté tous ensemble sa chanson préférée : « Quand les hommes vivront d’amour, il n’y aura plus de misère », elle a versé une larme comme pour nous dire : « Merci ! Merci de me laisser partir et de comprendre à quel point C trop Difficile ! » Adieu, Maman, mais tu avais raison. Si on avait su… Le 18 novembre dernier, je t’aurais dit : « N’y va pas reste à la maison. Tu seras mieux ». Cette mort qui t’aurait happé aurait été plus digne que ce que le système hospitalier t’auras fait subir.
Repose-toi enfin !
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